Bruits de bottes et grandes oreilles
Lois antiterroristes
Bruits de bottes et grandes oreilles
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Une plongée orwellienne dans l’Occidentalie d’aujourd’hui -
2015
Le 7 janvier 1984... pardons 2015..., il y eut d’abord la démonstration de force de l’Ennemi du Peuple. C’était d’immondes terroristes dont on retrouva la trace parce qu’ils avaient oublié leur carte d’identité à côté de leurs kalashnikov, et dont on remonta la filière jusqu’au Yémen, parce qu’ils avaient donné l’identité de leur chef, qui pourtant mangeait les pissenlits par la racine depuis plusieurs années. Le portrait des Ennemis du Peuple passa sur tous les Télécrans pendant plusieurs semaines, et les citoyens terrorisés apprirent à cracher sur leurs visages et à exciter leur haine contre tous ceux qui pourraient leur ressembler de près ou de très loin. On abattit ces Ennemis sous les caméras sans autre forme de procès, procès qui aurait certainement abouti à d’autres conclusions que celles délivrées dans l’heure par le Ministère de la Vérité.
Ensuite, il y eut la Semaine de la Haine, où rage et délire se mêlèrent contre l’Ennemi du Peuple. Sur les télécrans et phonoscripts, il y eut 5 millions de messages que la Novlangue appelait « tweets » et « like » en quelques heures. Et le lendemain, des millions de personnes que la Novlangue appelait « Charlies » défilèrent dans la rue, tandis que le ministère de la Vérité décrétait qu’il fallait « traiter » les « Anti-Charlies ». A l’école, les Espions réussirent à débusquer un Anti-Charlie de huit ans.
En arrière-plan, l’Occidentalie mena une guerre sans relâche à l’Eurasia, l’autre Super-Etat de la planète, qui n’acceptait pas ses principes. Pour ce faire, ils allèrent même jusqu’à financer des groupes qu’ils prétendaient combattre depuis toujours (les Nazis). Les livres d’histoire, contrôlés par le Commissariat des Archives, enseignaient aux enfants que les Nazis avaient toujours été du côté de l’Eurasia, et que la victoire sur le nazisme n’était dû qu’aux efforts de l’Occidentalie. Pourtant dans ce combat l’Eurasia avait perdu 27 millions d’âmes, soit 60 fois plus que celles de l’Occidentalie. Un front chaque jour plus meurtrier était ouvert contre le voisin de l’Est, et la Police de la Pensée appelait traîtres et conspirateurs tous les pacifistes.
Fidèle au slogan du Parti Eursoc (European Socialist), « la guerre c’est la paix, la liberté c’est l’esclavage et l’ignorance c’est la force », le Ministère de la Vérité accentua son travail de modernisation du langage. C’est une belle chose la destruction des mots. Le même Parti qui avait bradé à l’étranger l’industrie et la défense de la nation, se fit appeler défenseur de « l’indépendance nationale ». Le Parti qui avait méthodiquement saccagé les institutions républicaines au profit de l’UE-occidentalie, se fit appeler défenseur de la « stabilité des institutions », celui qui avait privatisé à tour de bras et saboté les services publics, défenseur des « intérieurs publics nationaux ».
Juste après la Semaine de Haine, les députés votèrent le 5 mai 1984-2015, la Loi Big Brother (BB). Tous avaient alors en tête l’immonde visage basané et barbu du Terroriste allias Ennemi du Peuple. Mais BB en profita pour adjoindre à la lutte contre l’Ennemi du Peuple, toute une kyrielle de « motifs d’intérêts publics » : exécution des intérêts occidentalistes... pardons européens, intérêts essentiels de la politique étrangère, intérêts économiques et scientifiques du pays. Vraiment les habitants de l’Occidentalie ne voyaient pas quel était le rapport avec l’Ennemi du Peuple, mais craignant la Police de la Pensée encore davantage que l’Ennemi du Peuple, ils ne bronchèrent pas. On put ainsi surveiller tout le monde au nom des « motifs d’intérêts publics » nationaux, dont la liste figure sur ce télécran article L811-3. Le Ministère de la Vérité légalisa la pratique de la surveillance visuelle, auditive, de l’interception des conversations téléphoniques, et la Police de la Pensée cibla les citoyens susceptibles de « trahir par la pensée » à partir de leurs recherches sur le réseau internet - télécran.
Des mauvaises langues prétendirent que la lutte contre le Terrorisme n’était qu’un alibi. Que si l’Occidentalie avait vraiment voulu en venir à bout, il aurait appliqué les principes élémentaires de la guerre : concentration des forces et économie des moyens, au lieu d’étendre cette surveillance à toute une nation. D’autres rappelèrent le principe d’unicité de commandement en vue de l’anéantissement des forces ennemies qui veut qu’on s’allie avec les véritables ennemis du Terrorisme comme le « Régime » de Syrie, une province aux confins de l’Eurasie, au lieu de continuer à l’agresser. Ces mêmes mauvaises langues allèrent même jusqu’à prétendre que la loi BB n’avait d’autre but que de servir à débusquer tous ceux qui voulaient en finir avec la tyrannie imposé par l’UE-Occidentalie , et notamment s’opposer à sa logique de guerre totale avec le bloc Eurasie, dont la menace devenait chaque jour plus imminente.
D’autres enfin, des cartésiens que la novlangue baptisa « conspirationnistes » osèrent l’hypothèse que l’Ennemi du Peuple avait été fabriqué de toutes pièces par BB pour terroriser ses propres habitants et lui faire accepter n’importe quelle servitude et n’importe quelle guerre. Tout cela en accord avec sa devise fondatrice :
La liberté c’est la servitude
La guerre c’est la paix.